(1) En cas de conflit, les formations de l'Armée de l'air stationnées sur les bases aériennes devaient être desserrées sur des terrains de campagne, dits "terrains d'opérations", préalablement aménagés.

(2) Stationnée à Metz, la 38e escadre de bombardement avait rejoint l'AFN en juin 1939 pour une campagne de quelques mois.

(3) Le deuxième groupe de l'escadre (GB II/38) s'installe à Auxerre-Monéteau. Le 5 mai 1940, il rejoint le terrain de Chaumont-Semoutiers

(4) Remplacé par le capitaine Faure fin mars 1940.

(5) SHD - Air, "Historique du groupement n°10, du groupe de bombardement I/38 et du groupe de bombardement II/38" rédigé par le colonel Aribaud.

(6) Remplacée par la compagnie de l'Air 2/138 en avril 1940.

(7) Le 20 mai 1940, le groupement n°10 sera très provisoirement (pour quelques jours) renforcé par les groupes I/11 et I/23.

(8) Les ordres seront quelques peu modifiés dans la matinée du 14. Il ne s'agira plus de détruire les ponts de bâteaux, mais de bombarder les concentrations allemandes dans la zone Sedan- Givonne- Bazeilles.

(9) Au cours du trajet, un Amiot tombe en panne de moteur et doit se poser à Mourmelon.

(10) Sous le nom de plume de Casamayor.

 

L'AÉRODROME DE TROYES - BARBEREY

durant la Seconde Guerre mondiale

Il faut attendre 1933 pour que le chef-lieu du département de l'Aube se dote enfin d'un véritable aérodrome. L'initiative en revient à l'aéroclub de l'Aube (ACA) qui trouve dans la municipalité de Troyes un soutien de poids. Après divers emplacements prospectés, le site définitif est fixé à l'ouest de l'agglomération troyenne sur la commune de Barberey-saint-Sulpice dans la grande plaine située entre la route nationale 19 et la colline de Montgueux. Financé par la ville de Troyes avec l'appoint du Conseil général de l'Aube, de la chambre de commerce et du ministère de l'Air, l'aérodrome communal de Barberey est ouvert à la circulation aérienne le 30 juin 1933 et officiellement inauguré le 9 juillet suivant. D'une superficie d'une quarantaine d'hectares, il comprend un hangar ainsi qu'un pavillon pour l'aéroclub.

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En juin 1935, l'Armée de l'air, dans le cadre de sa politique de création de terrains d'opérations1, décide de procéder d'extrême urgence à l'agrandissement de l'aérodrome en achetant 72 hectares supplémentaires, portant ainsi sa superficie à environ 110 hectares. Cette parcelle a le temps d'être aménagée avant le second conflit mondial, les militaires y installant quatre citernes enterrées d'essence d'une capacité totale de 60000 litres.

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En 1938, les menaces de l'Allemagne hitlérienne se précisant, l'Armée de l'air lance son plan V de réarmement dans lequel figure l'implantation d'une base aérienne à Troyes-Barberey devant accueillir, dès avril 1940, une escadre de chasse. Cela nécessite l'acquisition de 85 hectares supplémentaires par procédure d'expropriation dont la décision ministérielle n'intervient que le 31 mai 1939. La déclaration de guerre du 3 septembre suivant stoppe net les travaux et les procédures en cours. Si la base aérienne ne verra jamais le jour, les procédures d'acquisition des terrains reprendront dès 1941, mais il faudra attendre 1951 pour que celles-ci arrivent à leur terme. En 1953, la ville de Troyes remettra à l'Etat, à titre gracieux, la parcelle de quarante hectares dont elle était propriétaire. Le statut de l'aérodrome de Barberey continuera d'évoluer jusqu'à nos jours, mais cette période sort du cadre du présent article.

Les débuts de la drôle de guerre

Fin août 1939, alors que la guerre se rapproche à grand pas, l'Armée de l'air décide d'activer le terrain d'opération de Troyes-Barberey avec l'arrivée de la compagnie de l'Air 39/133 formée sur la base aérienne de Romilly à partir d'éléments du bataillon de l'Air 133 et renforcée par des réservistes. Elle doit assurer la protection du terrain et le soutien des formations aériennes qui vont y stationner. Son cantonnement est installé dans le village de Payns, soit à huit kilomètres de l'aérodrome, ce qui ne va pas faciliter les liaisons.

Le 1er septembre, arrive le groupe de bombardement II/51 équipé de Bloch 210 en provenance de Tours. Sous les ordres du commandant Mathieu, le groupe débute dès le lendemain ses premières missions. En ce début de Drôle de guerre, les vols de jour ou de nuit, se limitent à des reconnaissances ou à des lancements de tracts. Il ne faut surtout pas provoquer l'ennemi ! A la mi-octobre, le groupe change de terrain en se déplaçant à Briare.

Le groupe de bombardement I/38

Le 14 octobre 1939, se posent à Barberey les avions du groupe de bombardement I/38 (GB I/38). Premier groupe de la 38e escadre2 de bombardement, il arrive d'Afrique du Nord via Istres avec ses Amiot 143, appareils totalement obsolètes. Son échelon roulant étant resté en Tunisie, on l'affuble d'un nouvel échelon formé à la va-vite avec du personnel mal instruit et équipé en raclant les fonds de tiroirs de la base de Marignane. Quant aux véhicules, ils ne sont pas d'origine militaire mais issus des réquisitions. Accompagnant le groupe, l'état-major de la 38e escadre s'installe également à Barberey3 sous le commandement du commandant (puis lieutenant-colonel) Aribaud. Le groupe I/38 est lui sous la responsabilité du commandant Gougnon4.

Voici comment le colonel Aribaud relate son arrivée à Barberey :

"Le samedi 14 octobre à 17 heures, atterrissage normal des avions. (...) Personne ne les attend. Les échelons précurseurs bordent les pistes en curieux. Ils ne savent pas faire autre chose. Les échelons roulants débarquent presque au même moment. Les commandants d'avions procèdent à un premier desserrement. Le capitaine C. (active) commandant la compagnie de l'Air N° 39/133 se présente peu après. Il s'excuse d'arriver en retard parce qu'il cantonne à huit kilomètres. Il rend compte que l'E.M. d'escadre et le groupe I/38 disposent du village de Barberey pour les sous-officiers et les hommes et du château du même nom pour les officiers. C'est l'ancien cantonnement du groupe II/51 parti depuis quelques jours à Briare. Les hommes mangeront leurs vivres de débarquement. Les officiers et sous-officiers trouveront à Troyes des hôtels et des restaurants pour les accueillir jusqu'au lundi suivant. Alors la compagnie de l'Air nous fera les honneurs du cantonnement et s'occupera de nous ravitailler en vivres, essence, etc. Le samedi, affirme le capitaine C., la plupart des hommes vont passer 24 heures ou 36 heures dans leur famille. Ce sont des gens venus pour la plupart du recrutement local. C'est évidemment un état de fait, mais il soumet les nerfs les plus calmes à rude épreuve. Qu'à cela ne tienne, on en verra bien d'autres avec les unités de servitude. Oh, ironie du dernier mot !5"

Les sept mois de Drôle de guerre à Barberey sont rythmés par les missions de reconnaissance nocturne au-dessus de la Rhénanie. Jusqu'au 10 mai 1940, les équipages du GB I/38 et de l'E.M. de l'escadre réalisent ainsi 28 missions au cours desquels ils en profitent pour lancer des tracts. Ce nombre peut sembler faible, mais les conditions climatiques extrêmement rigoureuses de l'hiver 1939 - 1940 compliquent singulièrement leur tâche. A cela s'ajoutent les problèmes récurrents des moteurs Gnome-Rhône 14K nécessitant leur révision complète par les équipes de mécaniciens. Deux avions sont perdus durant cette période, heureusement sans pertes humaines.

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Au début du printemps 1940, les choses commencent à s'améliorer. Les matériels et équipements qui faisaient tant défaut arrivent enfin. Ainsi des baraques en bois sont montées sur l'aérodrome pour le personnel navigant, les voitures de réchauffage Técalémit nécessaires pour le démarrage des moteurs par temps froid sont livrées et une butte de tir est construite contre la colline de Montgueux pour régler les armes. Quant à la compagnie de l'Air 39/1336, elle daigne enfin transférer son cantonnement à La Chapelle-Saint-Luc, la rapprochant ainsi notablement de l'aérodrome.

Le 11 avril 1940, le groupe de bombardement I/38 et l'E.M. d'escadre changent de stationnement en s'envolant pour l'aérodrome de La Ferté Gaucher. Ils n'y restent pas longtemps puisque dès le 3 mai suivant, ils sont de retour à Barberey. C'est au cours de cette période que la 38e escadre de bombardement est dissoute. Cela n'apporte aucun changement fondamental. En substitution, est constitué le groupement de bombardement n°10 qui reprend sous son autorité les deux groupes de l'ancienne escadre7.

Mai - juin 1940

Aux premières heures du 10 mai 1940, les troupes allemandes passent à l'offensive à l'Ouest. La nuit suivante, le groupe de bombardement I/38 entre en action avec une mission de reconnaissance tandis que cinq autres appareils vont bombarder l'aérodrome de Bonn-Hangelar.

Le 11 mai, vers 6h20 du matin, l'aérodrome de Barberey est bombardé par une douzaine d'appareils de la Luftwaffe. Un Amiot 143 est totalement détruit tandis que deux autres sont endommagés par des éclats de bombes mais seront réparés sur place. La traînée de bombes a touché la corne sud du terrain en y laissant une trentaine d'entonnoirs qui seront comblés et damés rapidement.

Le bombardement avorté du 14 mai 1940 dans le secteur de Sedan

Le 13 mai, à la grande surprise de l'état-major allié, trois divisions blindées allemandes, qui ont réussi à traverser les Ardennes belges sans être inquiétées, arrivent sur la Meuse de part et d'autre de Sedan et font face aux IIe et IXe armées françaises pilonnées sans relâche par la Luftwaffe. Dans la journée, plusieurs têtes de pont sont établies sur la rive gauche. Si les Allemands réussissent à percer, plus rien ne les arrêtera jusqu'à la Manche. Ils prendront ainsi à revers les troupes françaises et britanniques aventurées en Belgique et en Hollande lors de la manœuvre Dyle-Breda. L'heure est grave, les panzers doivent être absolument stoppés. Pour cela, il faut détruire les ponts de bateaux allemands enjambant la Meuse et réduire les têtes de ponts ennemies. On fait appel à la RAF et à l'armée de l'Air. Cette dernière ne peut rassembler que les bombardiers des groupements n°6, 9 et 10 ainsi que les Breguet 693 du groupement de bombardement d'assaut n°18, soit une petite quarantaine d'avions disponibles au total ! Parmi ceux-ci, une vingtaine d'Amiot 143 ayant plus leur place dans un musée que sur un champ de bataille. Le LCL Aribaud, de retour d'une réunion de crise à Laon dans la nuit du 13 au 14 mai où il a reçu ses ordres, prend ses dispositions pour le groupement n°10. Sept Amiot du GB I/38 (Troyes-Barberey) et six autres du GB II/38 (Chaumont-Semoutiers) participeront à cette action8. Les ordres stipulent qu'ils bombarderont de jour à une altitude de seulement 900 mètres. Pour ces avions se traînant à environ 250 km/h et seulement aptes à des missions de nuit, cette attaque s'apparente à une opération suicide face à une chasse allemande omniprésente et une flak redoutable.

En fin de matinée, le 14 mai 1940, sept Amiot 1439 du groupe de bombardement I/38, avec à leur tête le LCL Aribaud, décollent du terrain de Barberey. Direction le terrain de La Fère-Courbes où à sa verticale ils doivent rejoindre les autres bombardiers ainsi que la chasse chargée de les protéger. Arrivés quelques minutes en retard sur l'horaire prévu, les Amiot ne trouvent qu'un ciel vide. Aribaud prend alors la décision d'interrompre la mission et de rentrer à Barberey après s'être délesté des bombes en les larguant au-dessus du camp de Mailly.

Ce bombardement avorté sera diversement apprécié par les équipages et inspirera un roman, intitulé "Désobéissance", au lieutenant Fuster10, officier observateur à bord d'un des Amiot. Le lieutenant-colonel Aribaud a-t-il scrupuleusement obéi aux ordres stipulant l'interdiction de bombarder sans l'accompagnement de la chasse ou est-il délibérément arrivé en retard pour préserver ses équipages d'une mission sans retour ? A posteriori, on peut constater simplement que les bombardements ne ralentirent en aucune façon la percée allemande. Trois avions français (deux Amiot 143 et un LeO 45) furent abattus. Une goutte d'eau à côté des pertes anglaises, la RAF fournissant ce jour-là l'effort principal. 33 Fairey Battle et 13 Blenheim se retrouvèrent au tapis. Une véritable hécatombe ! Le sort de la Bataille de France était joué. On connaît la suite.

Dorénavant chaque nuit, les Amiot 143 du GB I/38 décollent pour aller bombarder les colonnes ennemies qui maintenant sont sur le sol français. Début juin quelques objectifs en Allemagne sont visés. Les dernières missions depuis Barberey ont lieu dans la nuit du 10 au 11 juin. Au total depuis le 10 mai, le groupe de bombardement I/38 aura exécuté 151 missions de nuit.

Le 11 juin vers 16h30, 45 bombardiers allemands se présentent au-dessus de l'agglomération troyenne. Ils attaquent en deux groupes l'aérodrome et le village de Barberey. 300 bombes sont lancées, la plupart atteignant la plateforme où deux Amiot 143 sont endommagés. Une trentaine tombent sur Barberey où le PC du groupement n°10 est visiblement visé. Aucun personnel n'est touché, mais plusieurs animaux de ferme sont tués ou blessés dans le village.

 Dans la soirée, alors que les Allemands se rapprochent, l'ordre de repli du groupe arrive. Le lendemain matin 12 juin à 9h30, les Amiot du GB I/38 quittent définitivement Barberey pour rejoindre le groupe II/38 à Chaumont-Semoutiers. C'est le début d'une grande transhumance vers le sud de la France qui se terminera sur le terrain d'Arles - Mas de Rus.

D'autres unités passent furtivement sur le terrain de Barberey en juin 1940 : les groupes de chasse II/1 (du 12 au 13 ) et III/10 (du 13 au 14), ainsi que le groupe de reconnaissance I/14 (du 13 au 14). Citons également l'état-major du sous-groupement de chasse n°43 (du 5 au 10). Des avions britanniques se posent également entre la mi-mai et le début juin, conséquence de la présence à Troyes de l'état-major de l'Avanced Air Stricking Force (AASF).

Le 14 juin 1940, le terrain de Barberey est abandonné par l'armée française. Un nombre important d'avions en panne ou endommagés et n'ayant pu être évacués sont sabordés par les équipes de la compagnie de l'Air avant son départ.

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L'aérodrome sous l'occupation allemande

Les Allemands, après avoir bombardé Troyes les 13 et 14 juin, investissent la ville le 15. Mais aucune unité de la Luftwaffe ne viendra jamais stationner sur l'aérodrome de Barberey durant l'occupation. Après avoir assuré un temps un gardiennage, les autorités allemandes n'estimant pas l'aérodrome de Barberey nécessaire à la Luftwaffe, font creuser des tranchées d'interdiction empêchant ainsi à tout avion (allié) la possibilité d'atterrir. Certaines parcelles sont même autorisées à être remises en culture.

A la Libération, l'aérodrome mettra un certain temps à renaître de ses cendres. L'Armée de l'air occupera une seconde fois une partie du terrain de Barberey entre 1950 et 1953, période où une station maître radar (SMR) s'installera provisoirement avant d'émigrer dans les nouvelles installations enterrées de Prunay-Belleville. Mais ceci est une autre histoire.

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